Analyse : « Il n’est pas nécessaire de déposer une demande incorrecte pour que celle-ci soit considérée comme de mauvaise foi : CeramTec (C-17/24) »

Analyse : « Il n’est pas nécessaire de déposer une demande incorrecte pour que celle-ci soit considérée comme de mauvaise foi : CeramTec (C-17/24) »

Coexistence des motifs absolus de refus et de la mauvaise foi

Par Hanne Lammens Avocate senior spécialisée en marques et dessins et modèles IP Hills | Ipsilon Group

Traduction depuis l’anglais avec DeepL

Le 19 juin 2025, la Cour de justice a rendu son arrêt dans l’affaire CeramTec c. Coorstek (C-17 /24), une affaire relative à la coexistence des motifs absolus de refus et de la mauvaise foi du demandeur dans le contexte du droit des marques de l’Union européenne. Dans son arrêt, la Cour s’est rangée à l’avis de l’avocat général Biondi et a estimé que la constatation de la mauvaise foi ne dépendait pas du fait que le signe en question soit également constitué exclusivement par la forme des produits nécessaire pour obtenir un résultat technique.

 

Faits et objet du litige

Dans cette affaire, le fabricant allemand CeramTec, qui produit des prothèses de hanche et de genou, a enregistré trois marques de l’Union européenne (une marque de couleur, une marque figurative et une marque tridimensionnelle) après l’expiration de son brevet.

En décembre 2013, CeramTec a engagé une procédure en contrefaçon à l’encontre de la société américaine Coorstek. En réponse, Coorstek a demandé la nullité des marques en vertu de l’article 52, paragraphe 1, point b), du règlement (CE) n° 207/2009 sur la marque de l’Union européenne, alléguant que CeramTec avait agi de mauvaise foi lors du dépôt des marques.

Lorsque CeramTec a déposé les marques contestées, elle estimait que l’oxyde de chrome jouait un rôle technique en contribuant à la durabilité des billes en céramique utilisées dans les implants médicaux. Elle cherchait à protéger la couleur rose, résultant de l’oxyde de chrome, en tant que marque. Cependant, il a été démontré par la suite que cette couleur n’avait aucune fonction technique.

Par conséquent, les marques n’étaient pas en conflit avec l’article 7, paragraphe 1, point e), sous ii), du règlement (CE) n° 207/2009 sur la marque communautaire, qui énonce le motif absolu de refus suivant : « les signes composés exclusivement de la forme du produit nécessaire pour obtenir un résultat technique ».

Il a toutefois été avancé qu’au moment du dépôt, CeramTec avait l’intention d’obtenir des droits exclusifs sur une fonction technique, ce qui constituait une marque déposée de mauvaise foi. CeramTec a fait valoir qu’interpréter l’article 52, paragraphe 1, point b), du règlement (CE) n° 207/2009 sur la marque de l’Union européenne d’une manière qui permet la radiation d’une marque uniquement parce que le demandeur avait l’intention d’étendre la protection à une solution technique, sans prouver que la marque garantirait effectivement cette protection, porterait atteinte à l’article 7, paragraphe 1, point e) ii), et fausserait les objectifs distincts de ces deux dispositions.

 

Assistance requise de la Cour de justice

Compte tenu de ces circonstances, la Cour de cassation a décidé de suspendre la procédure et de soumettre les questions suivantes (reformulées) à la Cour de justice pour décision préjudicielle :

  1. L’article 52, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 doit-il être interprété en ce sens que le motif absolu de nullité prévu à l’article 52, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), dudit règlement, et le motif absolu de nullité prévu à l’article 52, paragraphe 1, sous b), dudit règlement sont autonomes et s’excluent mutuellement ?
  2. L’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 doit-il être interprété en ce sens que la mauvaise foi du demandeur de l’enregistrement d’un signe en tant que marque peut, si cet enregistrement a été demandé après l’expiration d’un brevet, être établie uniquement sur la base de l’avis de ce demandeur quant à l’aptitude de ce signe à exprimer la solution technique précédemment protégée par ce brevet, indépendamment du fait que ce signe consiste exclusivement en la forme d’un produit nécessaire pour obtenir un résultat technique, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), dudit règlement ?
  3. L’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 doit-il être interprété en ce sens que la mauvaise foi du demandeur peut être appréciée sur la base de circonstances postérieures au dépôt de la demande d’enregistrement de la marque en cause ?

 

Les motifs de nullité sont autonomes et ne s’excluent pas mutuellement

La Cour de justice répond à la première question en deux parties. La première partie examine si les deux motifs de nullité sont autonomes.

Pour étayer leur indépendance, la Cour a souligné la structure de l’article 52, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009, dans lequel les sous-paragraphes a) et b) sont séparés par un point-virgule, indiquant des bases juridiques distinctes.

La Cour a également renvoyé à l’affaire Société des Produits Nestlé (C-215/14, point 46), qui a confirmé que les motifs de refus prévus à l’article 7 s’appliquent indépendamment les uns des autres. Par analogie, la Cour a conclu que les motifs d’invalidité prévus à l’article 52, paragraphe 1, doivent également être appliqués séparément.

La Cour a souligné que l’article 52, paragraphe 1, s’applique dans un nombre défini de cas, tandis que la mauvaise foi peut s’appliquer dans un nombre indéterminé de cas. Cette flexibilité sert l’intérêt public, car elle garantit que la protection des marques ne peut être détournée. Étant donné qu’une marque confère des droits exclusifs puissants et potentiellement perpétuels, il est essentiel d’empêcher les demandeurs d’obtenir ces droits à des fins sans rapport avec leur utilisation comme indicateur d’origine commerciale. Chercher à empêcher des tiers d’utiliser une invention précédemment brevetée, une fois le brevet expiré, reflète clairement un objectif qui va au-delà de la fonction légitime d’une marque.

En outre, la Cour compare les objectifs des différents motifs de nullité. L’article 52, paragraphe 1, point a), vise les marques qui, par nature, ne remplissent pas les conditions d’enregistrement, telles que celles qui monopolisent des solutions techniques, car elles sont incapables de fonctionner comme des marques.

En revanche, l’article 52, paragraphe 1, point b), se concentre sur le comportement du demandeur. Il vise à prévenir les abus du système des marques en sanctionnant les intentions malhonnêtes, indépendamment du fait que la marque elle-même soit enregistrable ou non.

La Cour conclut que la mauvaise foi (article 52, paragraphe 1, point b)) et les motifs absolus (article 52, paragraphe 1, point a), renvoyant à l’article 7) sont des motifs d’invalidité indépendants.

Cette affaire souligne l’importance de ne pas définir la mauvaise foi. Même si l’oxyde de chrome produisait un effet technique, l’article 7, paragraphe 1, point e), sous ii), n’aurait peut-être pas été applicable, car il concerne les formes nécessaires pour obtenir un résultat technique. Dans le cas présent, la couleur rose n’était qu’un sous-produit de l’oxyde de chrome et n’était pas essentielle pour obtenir un résultat technique. En outre, la couleur ne constitue pas une forme. Cette dernière lacune a été comblée par le règlement (UE) n° 20 1 5/2424, qui a élargi la disposition pour inclure « ou une autre caractéristique », englobant ainsi des caractéristiques telles que la couleur. La nature ouverte du motif de mauvaise foi reste cruciale dans de tels cas, car elle permet de contester les enregistrements potentiellement abusifs.

En ce qui concerne la deuxième partie de la première question, la Cour a estimé que les deux motifs absolus de nullité prévus à l’article 52, paragraphe 1, points a) et b), du règlement n° 207/2009 ne s’excluent pas mutuellement. Une marque peut être invalidée pour l’un ou l’autre de ces motifs, ou pour les deux, selon le cas, et il n’existe aucune obligation légale d’en appliquer un seul.

 

Évaluation de la mauvaise foi dans les demandes d’enregistrement de marques après l’expiration du brevet

La Cour a précisé qu’en vertu de l’article 52, paragraphe 1, point b), du règlement n° 207/2009, la constatation de la mauvaise foi dans l’enregistrement d’une marque peut être fondée sur l’intention du demandeur de prolonger ses droits de monopole après l’expiration d’un brevet. Cela inclut l’opinion du demandeur selon laquelle le signe exprime une solution technique précédemment brevetée, même si le signe ne relève pas de l’exclusion relative à la forme prévue à l’article 7, paragraphe 1, point e) ii). Pour prouver la mauvaise foi, les autorités doivent évaluer une série de facteurs tels que l’origine du signe, son utilisation, la portée du brevet expiré, les motivations commerciales et la chronologie des événements.

Il est essentiel de distinguer les objectifs poursuivis par les brevets et les marques. Si ces deux formes de propriété intellectuelle peuvent se compléter, elles sont conçues pour fonctionner dans des domaines distincts. Par conséquent, une marque qui masque ou reproduit effectivement les caractéristiques d’un brevet est susceptible d’être invalide, soit parce qu’elle protège des éléments purement fonctionnels, soit parce qu’elle a été enregistrée dans l’intention de fausser la concurrence loyale.

La Cour note également que les facteurs pertinents pour les motifs relatifs de refus peuvent contribuer à conclure à la mauvaise foi au sens de l’article 52, paragraphe 1, point b), du règlement n° 207/2009, même si ces motifs ne sont pas pleinement satisfaits. Les limites de ce raisonnement restent incertaines. Par exemple, le fait de déposer sciemment une demande d’enregistrement d’une marque descriptive peut-il être considéré comme une preuve de mauvaise foi ?

 

Moment de l’évaluation de la mauvaise foi dans les demandes d’enregistrement de marques

La Cour a précisé qu’en vertu de l’article 52, paragraphe 1, point b), du règlement n° 207/2009, la mauvaise foi doit être évaluée sur la base des intentions du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque. Bien que des circonstances ultérieures puissent servir de preuve révélant les intentions du demandeur à ce moment-là, elles ne peuvent modifier ou créer une perception qui n’existait pas au moment du dépôt. En d’autres termes, seuls les faits et les connaissances dont disposait le demandeur au moment du dépôt sont pertinents ; les développements ultérieurs qui étaient inconnus à ce moment-là ne peuvent établir rétrospectivement la mauvaise foi.

 

Opinion de l’auteur

L’arrêt rendu par la CJUE dans l’affaire CeramTec c. Coorstek renforce le rôle essentiel de la doctrine de la mauvaise foi dans la sauvegarde de l’intégrité du système des marques de l’UE. En confirmant que la mauvaise foi et les motifs absolus de refus prévus à l’article 7 sont autonomes et peuvent coexister, la Cour envoie un signal clair : les droits de marque ne peuvent être utilisés comme une porte dérobée pour prolonger des monopoles de brevet expirés.

Il est important de noter que l’arrêt établit que la mauvaise foi peut être constatée même lorsqu’une marque ne relève pas de l’exclusion relative à la forme prévue à l’article 7, paragraphe 1, point e) ii), dès lors que l’intention du demandeur était de contourner les limites de la protection par brevet. L’accent mis par la Cour sur l’évaluation de la mauvaise foi en fonction de l’état d’esprit du demandeur au moment du dépôt, tout en permettant à des faits ultérieurs de mettre en lumière ces intentions, offre une approche équilibrée et équitable.

Cette décision défend à juste titre l’intérêt public en affirmant que les marques ne sont pas des outils permettant de monopoliser des solutions techniques après l’expiration d’un brevet. L’arrêt souligne également pourquoi le caractère ouvert de l’article 52, paragraphe 1, point b), reste crucial : il constitue un filet de sécurité nécessaire dans les cas où les demandeurs exploitent les zones d’ombre juridiques pour obtenir des avantages indus.

 

Sources :

Affaire C-17/24, CeramTec GmbH c. Coorstek Bioceramics LLC, ECLI:EU:C:2025:455.

RÈGLEMENT (CE) N° 207/2009 DU CONSEIL du 26 février 2009 sur la marque communautaire.

RÈGLEMENT (UE) 2015/2424 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 16 décembre 2015 modifiant le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil sur la marque communautaire et le règlement (CE) n° 2868/95 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil sur la marque communautaire, et abrogeant le règlement (CE) n° 2869/95 de la Commission concernant les taxes à payer à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles)